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Sarcler Les Champs de topinambours

           

1972, écrit sur le bureau  usé de  l’étude terne d'un, pensionnat angevin... triste et gris :

  (on ne doit pas dire qu'il s'agit de Mongazon)

Sarcler les champs de topinambours n'est pas à priori un acte favorisant l'épanouissement du céphalopidé, mais les longues années que je consacrais à l'étude des phénomènes produits par cette technique, indépendamment de celle-ci, car ayant dès le départ considéré qu'il y avait derrière elle tout un monde ésotérique, puissamment illustré de contrastes étranges, me  sollicitaient à pousser mon analyse au delà des confins de l'entendement établi par la morale et l'anophalicité de la civilisation présente.

 

            Donc, c'est par delà tous les préjugés de la psychanalyse freudienne, qui n'est qu'une tentative de déculpabilisation de l'humanité que je considérais le sujet de mon étude : le céphalopidé ou homo sapiens Aristide...

 

            L'aube avait eu bien du mal à se faire à cette idée, mais il lui avait bien fallut se casser encore une fois la gueule sur l'horizon. Et ce matin là, c'était un horizon de lie de vin, un horizon mal lavé qui ne voulait pas en dire plus. Et puis comme personne ne lui avait demandé d'en faire plus que sa part, il s'était toujours borné à jouer son rôle sans sortir des règles de la tragédie. C'est pour cela peut-être qu'Aristide trouvait à ce matin un air de comédie.

 

            La scène était déserte. Aristide arrivait en se disant que le lever de rideau n'avait rien d'original. Il avait jeté à tout hasard une bêche qui était retombée sur son épaule, se disant que cet objet pourrait lui être utile pour bêcher le champ de topinambours que les premiers rayons de soleil n'avait pas encore réveillé et qui paressait encore sur le flanc d'une colline à la chevelure automnale rousse.

 

            La semelle de son sabot ayant fait éclater un gland dont le hurlement couvrait l'éternuement en retard du souffleur, Aristide sursauta. Ce sursaut dura longtemps car Aristide aimait goûter chacun de ses actes, même les plus pervers.

 

(J'ouvre une parenthèse pour prévenir le lecteur que le monde où se déroule l'action est parallèle à un autre monde un peu en retard sur le précédent et que ces derniers ne sont séparés que par une invisible et très mince cloison d'une fragilité extrême.)

 

            Une fois qu'il eut fini de sursauter, Aristide fut de nouveau devant la colline, un bois y gueulait par ses vives couleurs, sans honte de sa décadente exhibition. Le champ de topinambours ronflait très fort et cela faisait vibrer des colonnes d'air chaud au dessus de sa terre grasse et bien faite.

 

            Le souffleur éternua et quelques spectateurs applaudirent. Aristide posa sa bêche et commença sa prière.

 

" Seigneur!

C'est dans la brume mourante

de ce matin d'automne

que je me découvre à toi,

plus nu que le ver,

plus pauvre que le chien.

Mon âme a longtemps voyagé

de par l'infini sidéral

et mon corps s'est vu souvent frotté

au corps de bien des femmes.

Cents vies ne te seraient qu'une pâle vision

du temps que je vécu parmi les étoiles.

 

Oh Dieu!

Que se vident les océans de toutes les Terres,

que s'embrasent les lèvres de toute la tristesse

venant mordre la gueule des biens fragiles messes

que tes fils, en excuse à leurs nombreuses guerres

se veulent projeter au ciel qu'ils font mourir.

 

Que les croix aux carrefours des vents,

que ces croix de fer qui déchirent

les dernières loques de la poésie et du temps,

le temps qui a vu couler une eau amie,

qui a vu souffler un vent

            déserteur de toute autorité.

            Que ces croix rayonnent à nouveau

                        la mort ou le pardon."

 

 

            Sa prière achevée, Aristide se roula une cigarette. C'était pour lui un rite ou chaque geste se redécouvrait, à chaque fois plus beau et plus grand d'élan sacré. Le champ avait pris la couleur mystique qu'imposait la circonstance. Et les chants des chœurs cosmiques s'élevaient en d'infinies et transcendantes vibrations.

 

            Lorsqu'il tira la première bouffée, il vit une symphonie de papillons bleu-acier dont quelques un vinrent se poser sur la peau tannée de son visage. Entre deux nuages de fumées, il avorta dans son réseau de circonvolutions une pensée qui glissa le long de sa bêche. Son oreille gauche frémit. En même temps que cette pensée dont il ne se souvenait déjà plus, il avait vu passer dans le ciel un objet lourd et brillant.

            C'était dimanche et le champ de topinambours prolongeait sa grâce matinée jusqu'à midi. Aristide avait renoncé à le réveiller et se rendait chez le facteur Pierre.

 

            - Salut  facteur Pierre! J'ai pensé que ton mordant intellectualisme et tes violentes inhibitions poétiques nous permettraient de passer un temps ensemble sans ressentir le besoin d'une discussion intéressante.

 

            Facteur Pierre en réponse gratta quelques accords sur sa mélandoline et tira de la structure de la vieille charpente de chêne une douce mélodie. Le vieil homme vivait dans une grande pièce brune où trônait une imposante cheminée de pierre de taille, de grosses et vieilles souches y crépitaient sous la morsure de la flamme.

 

            Ils se repurent des sonorités âcres. Leurs têtes étaient vides et dehors le vent battait un vieux volet innocent. Il faisait bon devant le feu et les deux hommes chantèrent longtemps. La brune rusticité de la pièce estompait les choses, si bien que le petit tabouret à trois pieds, la grande table de chêne comme le reste se transmutaient en des objets différents, et disons, de nature étrange, selon les projections du subconscient de la pièce qu'Aristide et Pierre domptaient au fur et à mesure de la nuit qui tombait.

 

            Mais quand le feu s'éteint, tout revint et se mit à ronfler en silence. Les bruits de la rue, le pas des passants, un flot de silence hystérique. Aristide  voyait tout cela assis sur une bouche à incendie au rictus insolent, il ne pensait pas et s'efforçait d'étouffer un rire grinçant qui sifflait dans sa gorge.

 

            La ville était réapparu d'un seul coup. Chaque immeuble, chaque maison: un pavé se cassant la gueule, sur le crane d'Aristide. D'un coup, il fut sur pied, mais prenant le trottoir à contre-courant, la foule le projeta à terre. Par bonheur, il put se réfugier entre deux lattes du trottoir évitant ainsi le fatal piétinement réservé aux maladroits de son espèce.

 

            Les cris d'Aristide intriguèrent Pierre qui venait de rallumer le feu.

 

- Comment va ta femme lui demanda-t-il?

- Bien, elle finit d' écrire sa thèse sur l'éjaculation précoce.

 

   

1996

 

("Pourquoi vous n'avez pas acheté votre vignette ?"

 

 "Pourquoi !, vous n'avez pas à savoir pourquoi !, verbalisez faites votre boulot. J'ai pas à vous raconter ma vie."

 

         De toute façon ,c'est la deuxième fois que je me fais verbaliser. En 95 non plus je n'ai pas payé la vignette de ma voiture. C'est une 13 chevaux, il y en a pour 2500 francs. Alors il m'ont collé une amande, je dois payer le double. Maintenant c'est pour celle de 96, ça remet ça. Il ne peuvent pas comprendre comment je peux avoir une voiture pareille et ne pas payer la vignette. Il ne savent pas que je ne peux même pas la vendre. Il faudrait que je redonne de l'argent à la société de crédit. Et puis de toute façon j'en ai rien à foutre. Il n'ont pas à savoir mon histoire. La voiture je ne l'ai pas volée. En fait parfois ce que j'aimerai c'est qu'on me colle en prison, la vie serait plus simple. On me ferait à manger. Les murs seraient toujours là. J'aurai enfin de la tranquillité, je pourrai enfin étudier et écrire. Et puis surtout j'aurai un procès pour moi tout seul et là j'expliquerai au monde ce qu'on m'a fait subir. C'est sûr, j'aurai des circonstances atténuantes. Le problème c'est qu'il faut commettre un crime. J'ai pas trop le courage. J'ai bien eu l'idée de tuer un gourou.  Ça  serait chouette. Personne n'y a encore pensé. Ce sont toujours les gourous qui tuent les gens. Je suis sûr qu'on m'acquitterait, peut-être même qu'on me décorerait. Oui mais alors pour mon livre ?

 

 

"Ah je comprend c'est une treize chevaux."

 

Tiens il est sympa maintenant. Il a du voir que j'étais pas méchant, j'avais juste envie d'engueuler un peu quelqu'un, alors c'est lui qui a pris. Le pauvre il tremblait en tapant son rapport. Je lui ai dit que son uniforme ne lui donnait pas le droit de me parler sur ce ton. etc... J'ai du toucher une corde sensible. Alors il essaye un peu de se rattraper. Dans le fond ils sont pas violents ces flics, c'est des bons pères de famille. Il faut dire qu'à la Flèche ils doivent pas rigoler tous les jours.

 

         Tout à l'heure en attendant qu'il daigne me recevoir, j'ai lu la déclaration des droits de l'homme qui était placardée au mur. Lui, je suis sûr qu'il a fait exprès de me faire poireauter, il pensait me punir. Moi je me disais, pourvu qu'il me laisse le temps de tout lire. Vous voyez comme on peut se tromper.  Je lisais le préambule, je crois que c'était signé Robespierre. Non c'était l'assemblée de 1789. C'est marrant, on y parle de l'Etre Suprême. C'est ça qui était une idée de Robespierre. Quel enfoiré celui là. Il avait des intentions pures paraît-il ? Bon, il lui on rendu la monnaie de sa pièce. C'est quand même bizarre que ces idées de liberté, de droit de l'homme et tout  soient nées dans un tel bain de sang. Non! dans le fond, la liberté s'acquiert toujours au prix d'un combat et là, les tenants de l'ancien système ne voulait pas lâcher le morceau comme ça .

 

         C'est étrange le regard. pour le regard du flic, je suis un délinquant en puissance, pour le médecin, je suis un malade en puissance, pour le garagiste, un dépanné en puissance. Tous ne vivent que par nos défaillances .

 

La suite ....  bientôt